Thomas venait de décrocher son job après son entretien avec Bernard. Il serait donc sa secrétaire personnelle. Mon plan fonctionnait comme je l’espérais et je fus très excitée par cette nouvelle. Thomas en revanche semblait beaucoup moins enthousiaste que moi. L’idée de devoir porter talons et jupes tous les jours ne l’enchantait guère. Peu importait ! Il pouvait bien faire la soupe à la grimace, moi je voulais fêter devant un bon repas ça et le lui fit savoir.
Il protesta, disant qu’il ne pouvait pas aller au restaurant dans cette tenue. Il n’avait pas tout à fait tort. Pour le moment je ne pouvais pas prendre le risque qu’il salisse par mégarde son seul uniforme de travail.
– Très bien ! répondis-je. Allons d’abord faire un peu de shopping. Il va te falloir d’autres affaires. Madeline a été très gentille de te prêter cette tenue mais il te faut une garde-robe complète si tu veux garder ton travail.
Aussitôt dit, je démarrai la voiture et pris la direction du centre commercial le plus proche. Il faisait une de ces têtes alors que nous déambulions dans les rayons de lingerie. Dans temps en temps je demandais à Thomas s’il aimait les motifs de telle culotte ou la couleur de tel soutien-gorge. Chaque fois il devenait rouge comme une pivoine. C’était à mourir de rire. Je ne l’avais jamais vu aussi gêné. Il ne cessait de jeter des coups d’œil autour de lui pour être certain que personne ne le voyait. On aurait dit un animal pourchassé.
Finalement je lui achetai quelques chemisiers, une paire de tailleur féminin, une robe longue, des jupes plissées ou droites, des bas et une nouvelle paire de talons.
De temps en temps Thomas rechignait et faisait sa mauvaise tête, ce plaignant de tout et de n’importe quoi. « Pourquoi acheter tant ceci ou cela ? Je ne vais pas en avoir besoin longtemps. »
Mais pour chacune de ses complaintes, j’avais la même parade :
– Une femme change de vêtements plusieurs fois par jour. Voilà pourquoi il y a tant à acheter. De plus si jamais tu n’arrives pas à décrocher un autre poste tu risques d’en avoir besoin plus longtemps que tu ne le penses.
Cette réponse parut le rendre encore plus nerveux. Il pensait n’en avoir que pour une ou deux semaines mais je comptais bien le maintenir à son poste plus de quelques jours.
Avant de partir, je pris une dernière paire de chaussures que je voulais lui faire porter à la maison.
– Encore des talons hauts ? Je déteste ces trucs ! En porter me fait un mal de chien, rechigna-t-il encore.
– Ne t’inquiète pas, tu t’y feras rapidement, l’assurai-je. Toutes les femmes s’y habituent. J’ai pris cette paire exprès pour que tu t’entraînes à la maison. C’est obligatoire. Comme les jupes qui contraignent tes mouvements à être plus féminins. Si tu veux être découvert et passer pour un pervers, tu ne peux pas y couper. En plus cela mets en valeur tes jambes. Tu ferras bientôt tourner la tête de tous les garçons.
Une femme n’a jamais assez de paires de bas pour aller avec ses chaussures.
Ses sourcils se rapprochèrent l’un de l’autre. Il était de plus en plus anxieux. Il devait vraiment commencer à regretter le marché qu’il avait passé avec moi. Heureusement que maintenant qu’il avait un boulot de secrétaire en tant que femme il était coincé.
Après nos petites emplettes, nous allâmes comme convenu au restaurant pour dîner. Thomas me demanda pourquoi il ne pouvait pas d’abord rentrer à la maison pour se changer.
Je fis semblant de ne pas comprendre :
– Oh regarde-toi ! m’exclamai-je. Tu ne peux pas attendre d’essayer tes nouveaux vêtements !
Il rougit.
– Non, je veux dire mettre mes habits normaux. Mes habits… d’homme, marmonna-t-il.
– Je ne pense pas, lui dis-je. Tu es Soraya la secrétaire à présent, ne l’oublie pas. Pour parfaire ta couverture tu auras besoin de toutes les opportunités possibles pour t’habiller en femme. Moins tu passeras de temps en homme, mieux ce sera pour ton image.
Nous fîmes ensemble « Soraya » et moi un excellent dîner et nous passâmes un agréable moment… du moins JE passais un agréable moment. A la tête que faisait Thomas, on voyait immédiatement qu’il n’était pas du tout à l’aise. Je lui soufflai de se décrisper car il attirerait plus d’attention en ayant un air renfrogné qu’en agissant comme si tout allait bien.
Il tenta alors d’agir le plus naturellement possible, ce qui n’empêcha pas d’attirer un certain nombre de regards… d’homme. Taquine, je proposai à Thomas d’inviter de deux ces messieurs à notre table. L’un des avantages d’être une femme charmante c’est aussi de pouvoir se faire payer un dîner tout en ayant une agréable conversation avec un homme dont on pouvait sentir le désir ardent dans les yeux. La « nouvelle secrétaire » refusa d’un bloc. Je souris.
– Tu es trop timide. Il faudra bien que tu t’habitues à ce que tu attires l’attention des hommes maintenant, lui fis-je remarquer mais je n’insistai pas.
Quand nous rentrâmes à la maison Thomas se dirigea immédiatement vers la chambre et ouvrit son tiroir à linge. Il poussa un cri en voyant que celui-ci était vide.
– Où sont-passées mes affaires ? s’inquiéta-t-il en retournant précipitamment vers moi, ses talons claquant avec fermeté sur le sol.
Je répondis simplement :
– Je les ai envoyées à Emmaüs.
Il me regarda, choqué. Il ne m’avait jamais paru aussi effaré. Je vis que ses yeux étaient devenus humides.
– Tu as fait quoi ? cria-t-il.
– Du calme, Thomas. Qu’est-ce que tu pensais faire avec tes vieux habits maintenant que tes ongles sont vernis, tes oreilles percées et une coupe féminine. Madeline a même appliqué du maquillage semi-permanent à ton visage. Tu penses que tu vas ressembler à quoi en mettant des habits masculins ? Imagine un peu les gens qui te croiseraient dans la rue. Tu ne peux pas changer ton apparence matin et soir. Non, il vaut mieux que tu restes au maximum en habit de femme, même la nuit et le weekend.
– Ça veut dire que tout ce qu’il me reste ce sont les vêtements que nous venons d’acheter ? réalisa-t-il accablé. Non ! Je ne peux pas !
Et sur ces mots il retourna dans la chambre et commença à fouiller chaque recoin de chaque tiroir à la recherche d’un vestige de sa masculinité perdue. Mais j’avais veillé à ne rien laisser, déterminée que j’étais à éradiquer la moindre parcelle de mâle qu’il y avait en lui.
Quand je rentrais dans la chambre, il s’était finalement assis sur le lit et regardait fixement le mur face à lui. Sans un mot je commençai à emplir ses tiroirs qui contenaient autrefois ses slips et boxers et chaussettes par les culottes, soutiens-gorge et bas que nous venions d’acheter.
Quelle vision délicieuse que de voir le tiroir de Thomas littéralement envahi par une multitude de dentelles brodées, petits nœuds mignons et froufrous de soie ou de coton multicolore. Jamais je n’aurais pensé que transformer un homme de cette manière me procurerait une telle sensation. Pour la première fois de ma vie je me sentais vraiment la personne dominante dans notre relation. Et s’il m’arrivait de douter, il me suffisait de lancer un œil à Thomas, engoncé dans sa jupe et chemisier aérien pour me rappeler que désormais c’était MOI la patronne. Après tout j’avais un bon métier dans un cabinet d’avocat tandis que Thomas travaillait comme secrétaire, au plus bas de l’échelle. Il était donc tout à fait naturel que je dirige désormais le ménage.
Pendant que je remplissais les compartiments laissés vacants par ses nouveaux chemisiers, jupes, petits hauts, pantalon et robes, Thomas continuait à fixer le mur complètement perdu. Il était anéanti. Je l’avais brisé.
D’une voix autoritaire je lui d’aller se mettre au lit car il devrait se lever tôt. Son travail commençait à 9 heures mais il ne devait pas oublier qu’il allait devoir se maquiller avant d’y aller et cela prenait du temps. Il ne sembla pas emballer par l’idée d’avoir à se lever une heure à l’avance juste pour mettre du maquillage. Sans faire de commentaire supplémentaire je lui tendis un pyjama de soie. Il était léger et doux au toucher et particulièrement féminin avec les motifs d’oiseaux qui étaient brodés dessus. Il le prit sans rien dire. En mon for intérieur, je souris.
Le premier jour fut aussi prometteur que je l’avais espérée. Thomas se leva tôt et commença à appliquer son fond de teint. Le résultat n’était pas terrible. Avec un soupir je m’assis à côté de lui sur l’autre tabouret face à la maquilleuse.
– Bon, je vais t’aider, dis-je. Mais il va falloir t’entrainer le soir et les week-ends si tu ne veux pas ressembler à une travestie mais à une vraie femme. Je t’ai abonnée à quelques magazines comme Vanity Fair comme ça tu pourras apprendre la mode et le B.A.BA pour devenir une reine de beauté en deux trois coups de blush.
– Mais cela va prendre tellement de temps ! se plaignit-il. Quand est-ce que je vais trouver le temps de sortir si je fais ça ?
– Nous aurons bien assez de temps pour faire d’autres sorties shopping si le besoin se fait sentir.
– Ce n’est pas ce que je voulais dire. Je…
– Chut, ma puce. Laisse-moi appliquer un peu de gloss sur ces jolies lèvres.
Lorsque j’eus terminé de le rendre présentable, Thomas enfila son habit de secrétaire. Avec sa jupe qui lui arrivait juste au-dessus des genoux et son chemisier rouge à manche volante il était à croquer.
– Sexy, sifflai-je.
Thomas rougit jusqu’à la racine des cheveux.
En guise de petit-déjeuner et au lieu de son café et toast au beurre, je servis à Thomas une moitié d’orange et un bol de lait de soja. Il fit la moue en voyant le menu.
– Du lait de soja ? Mais je déteste ça ! s’écria-t-il mécontent. Pourquoi je ne peux pas manger normalement ?
Je répliquai simplement qu’il devait faire attention à ce qu’il mangeait désormais afin d’obtenir des contours plus féminins. Il fut encore plus dépité lorsqu’il vit que son repas de midi ne se constituait que d’eau minérale et d’une salade. Malheureusement pour lui, il n’avait pas le choix. Comme le disait l’adage : il faut souffrir pour être belle.
Mal gré bon gré je le déposai sur son lieu de travail. Je le vis disparaître à l’intérieur du bâtiment, ses talons clic claquant à chacun de ses pas. Il avait beaucoup pratiqué et, si sa démarche était toujours un peu raide, il maîtrisait assez son nouvel équipement pour ne pas paraître trop ridicule en marchant. Puis je redémarrai la voiture pour me rendre à mon propre travail.
J’allais le chercher vers six heures du soir. Je savais qu’il finissait à cinq heures-et-demi mais je n’avais pas résisté à l’idée de le laisser poireauter sur le trottoir en jupe et tailleur. Quand il me vit enfin, il se précipita dans la voiture. Il n’avait pas l’air très content.
– Je déteste devoir m’habiller en femme ! s’écria-t-il. C’était affreux.
– Vraiment ? Raconte-moi un peu toutes les misères qui te sont arrivées ma puce.
J’avais commencé à le surnommer ainsi par intermittence, choisissant exprès des qualificatifs plus usités pour les femmes que pour les hommes. Au début il m’avait regardé bizarrement mais maintenant il ne semblait même plus faire attention à ces petits noms. Il dit :
– Je ne supporte pas être l’objet des regards des hommes. Tout ce qu’ils font c’est essayer de me reluquer ou de me draguer. Il y en a même un au service commercial qui a commencé à flirter avec moi. A la pause déjeuner il m’a fait du pied sous la table ! Dégoûtant ! Et habillé comme ça je n’ai rien osé dire. Il va croire que je suis réceptive à ses avances.
Apprendre à être la proie inoffensive de la perversité des hommes
Je ne puis réprimer un demi-sourire poindre sur le coin de mes lèvres. Thomas venait de parler de lui au féminin. Il ne semblait même pas en avoir conscience. Comme si cela lui était venu naturellement. Mon ancien bon à rien de petit-ami se transformait lentement en la petite secrétaire modèle.
Malgré mon contentement intérieur je me montrais dédaigneuse envers les complaintes de Thomas :
– Eh bien, toi qui disais que les femmes doivent toujours s’habiller de manière sexy, te voilà bien attrapé maintenant que les rôles sont inversés. Tu vois ce que c’est d’être maintenant la proie de tes collègues masculins. Ils ne te voient probablement pas comme une vraie personne mais comme un objet de désir et de fantasme. Et tant que tu seras une femme il n’y aura rien que tu puisses faire. Tu dois juste vivre avec. Tu verras, tu finiras par t’habituer aux remarques salaces et aux attouchements déplacés.
Mon speech n’avait rien pour rassurer le mâle qui sommeillait encore en Thomas mais je voulais que lui rejaillisse en pleine face toute la stupidité qu’avait été son comportement envers les femmes jusque-là. Il allait douloureusement apprendre ce que j’avais ressenti durant toutes ces années.
– Je… Je… balbutia-t-il. Mais enfin, on me traite comme si j’étais juste une bimbo sans cervelle. Mon travail consiste à recopier des lettres, trier des documents ou répondre au téléphone. Il a même fallu que je prépare le café de Bernard ! Je fais un boulot sous-qualifié par rapport à mes études.
– La plupart des secrétaires sont dans le même cas, répliquai-je. Certaines n’arrivent pas à trouver autre chose car les hommes qui dirigent les sociétés ne veulent offrir un poste à forte responsabilité à ces pauvres femmes. Alors elles doivent se contenter d’un boulot stupide, tout comme toi.
Nous arrivâmes enfin à la maison. Dès qu’il fut entré, Thomas balança ses talons hauts à travers la pièce.
– Aargh ! Mes pieds me font si mal que je n’arrive plus à sentir mes orteils. Et j’ai du mal à me concentrer avec ses fichus collants qui frottent ma jupe à chaque mouvement.
– Tu vois à quoi ressemble mon quotidien alors. C’est encore de l’injustice qui règne entre les deux sexes. Les femmes doivent s’habiller comme ça pour être approuvées par les hommes qui les rabaissent constamment. Tu vas devoir t’habituer à ce que chacune de tes actions soient conformes aux exigences de la société créée par et pour les hommes. Et pour commencer que dirais-tu de faire quelques tâches ménagères maintenant ? Je veux parler de la vaisselle, la serpillère, le repassage, la cuisine. Habillé comme tu es, il ne serait pas sage de te laisser faire du bricolage ou de la plomberie.
– Mais qui va s’en occuper ? demanda-t-il alors.
Je haussai les épaules et me détournai tout en répondant :
– Oh, je trouverai bien un véritable mâle pour s’en charger.